|

Wednesday, October 8, 2025

Quand trop d'efficience tue l'efficience

Hicham Bakir
Collective intelligence

Le paradoxe de l’efficience

Tout le monde veut être plus efficace. Mais à force d'optimiser, beaucoup d'organisations finissent par s'épuiser.

Le constat : toujours plus, toujours plus vite

La plupart des organisations ont un énorme biais : faire de l'optimisation des ressources une priorité. Cela prend généralement deux formes. D'un côté, on découpe les activités en sous-tâches et en fonctions spécialisées. De l'autre, on cherche des économies d'échelle : mutualiser, centraliser, standardiser, répéter.

Dans les deux cas, on a défini une combinaison de ressources : des collaborateurs, des équipements, des infrastructures, qui représentent un coût.

À ce coût s'ajoute le coût d'opportunité, c'est-à-dire la valeur de ce qu'on ne fait pas : un collaborateur inactif, un équipement arrêté. On considère cela comme une dépense "inutile", alors on cherche à occuper tout le monde, tout le temps.

Les effets pervers : quand le système se grippe

Le problème, c'est que cette approche priorise des besoins internes, "comment produisons-nous ?", au détriment des besoins clients, le "quoi" et le "pourquoi".

Poussée à l'extrême, cette logique crée des effets contraires à ceux recherchés : des temps d'attente qui s'allongent, des coûts cachés qui explosent et une frustration généralisée, autant chez les clients que dans les équipes.

Par exemple, les attentes prolongées engendrent de nouveaux besoins : appels de relance, réunions supplémentaires, patients à gérer, hôtels à réserver pour des vols retardés, … Elles ferment aussi des opportunités : demandes devenues obsolètes, clients perdus, candidats recrutés ailleurs. Et elles créent du sur-travail : intérimaires à former, problèmes de qualité à corriger, collaborateurs épuisés et en arrêt de travail.

Résultat : les 100 % d'occupation sont atteints, mais la densité de valeur ajoutée diminue. Autrement dit, on fait toujours plus, pour finalement produire moins de valeur réelle en proportion.

La densité de valeur ajoutée

Comparaison de la densité de valeur ajoutée

Le paradoxe

L’efficience des ressources devient alors inefficiente pour le client. C’est le paradoxe d’un système obsédé par le “plein emploi” de ses ressources, au détriment du flux de valeur.

La priorisation de l’efficience des ressources engendre trois formes d’inefficience majeures :

- Des temps de traitement plus longs, qui génèrent de nouveaux besoins (relances, suivis, réunions), ferment des opportunités et créent des besoins secondaires.

- Une multiplication des activités simultanées, qui exige des ressources supplémentaires pour trier, filtrer, coordonner et prioriser, et qui dégrade la qualité et la maîtrise, et finalement augmente le stress et l'épuisement des équipes.

- Des cycles incessants de “stop and go”, qui provoquent des pertes d’information, de contexte et de connaissance, augmentent la charge cognitive et réduisent la capacité réelle de production.

Et maintenant ?

Une fois ce constat posé, une alternative s’impose. Plutôt que de chercher à maximiser l’efficience des ressources, il s’agit de viser l’efficience du flux, celle qui réduit les temps d’attente et se concentre sur la création de valeur du point de vue du client.

En changeant ce prisme, on libère le système : de nombreuses poches d’inefficience disparaissent d’elles-mêmes, et l’énergie des équipes se recentre là où elle crée réellement de la valeur.

C’est la bonne nouvelle : la plupart des organisations sont assises sur un réservoir de valeur latent, qu’on peut révéler en adoptant une approche centrée sur le flux.

L’efficience du flux fera l’objet d’un prochain article.

Pour aller plus loin

Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande fortement la lecture de ce livre :

Couverture du livre This is Lean

Le Lean en Clair

Par Niklas Modig et Pär Åhlström

Ce livre explique brillamment la différence entre l'efficacité des ressources et l'efficacité des flux. À travers des exemples clairs et une narration engageante, il démontre pourquoi se concentrer sur l'efficacité des flux conduit à de meilleurs résultats pour les clients et les organisations.

L'idée clé : les organisations optimisent souvent pour garder les ressources occupées (efficacité des ressources) alors qu'elles devraient optimiser pour un flux de valeur fluide (efficacité des flux). Ce changement fondamental de pensée est au cœur du Lean.

Je l'ai déjà recommandé et offert à un nombre incalculable d'amis et de relations.

En savoir plus sur le livre →

Si vous n'aimez pas lire, appelez-moi. J'adore en discuter.